Présentation de la méditation pleine conscience à l’heure actuelle

La méditation de pleine conscience (mindfulness*) a fait la preuve de son efficacité dans le cadre de la recherche clinique depuis une vingtaine d’années. Nombre de patients en bénéficient dans le domaine de la santé physique et mentale, qu’ils présentent des pathologies chroniques ou des troubles psychiques. Les bénéfices pour un individu d’être /de devenir pleinement conscient, s’observent également dans le champ de la prévention, par exemple la réduction du stress. Cette approche est devenue un phénomène médiatique qui n’aide pas à clarifier les concepts qui s’y rattachent en remarquant que ce que l’on désigne par « mindfulness » est tout autant un état qu’un trait, un processus, un type de méditation et une intervention psychologique. Parmi les chercheurs, Marion Trousselard présente un large ensemble de définitions situées historiquement et culturellement, porteuses de clarifications. Elle est professeure agrégée à l’hôpital militaire du Val de Grâce, neuroscientifique spécialiste de la neurophysiologie du stress et a publié en 2014 dans la revue « L’encéphale », un article sur l’histoire de la mindfulness dont je tire les éléments qui suivent.

La mindfulness n’est pas uniquement dérivée de l’univers bouddhiste, même si son concept basé sur une attention nue ou pleine conscience et les pratiques méditatives qui s’y rattachent, continue de se transmettre de manière vivante. L’hindouisme à travers les Upanishads (1500 avant J.-C.) mentionne l’importance du développement de l’attention et de la contemplation dans l’intention de réduire le flux des pensées et activités automatiques, en focalisant son attention sur le mouvement de la respiration. Les traditions religieuses n’ignorent pas la mindfulness comme l’Islam des derviches et de la tradition soufie, la religion juive avec la prière attentive de la Kabbale, le christianisme orthodoxe avec la prière du cœur, la méditation des Pères de l’Église, les Catholiques et la prière contemplative chez les Catholiques, mais aussi l’Irlande des Celtes qui pratiquaient le dercab au 6ème siècle après JC.

Cette « présence du développement de l’attention ou de la conscience » telle que Marion Trousselard la nomme, qui laisse vivant l’objet de notre étude, parcourt les courants philosophiques, spirituels, psychologiques et psychothérapeutiques du monde dans lequel nous vivons.

Dans le Bouddhisme, c’est au 6ème siècle avant J-C que sont mentionnées deux pratiques méditatives – Samatha (attention vigilante) et Vipassana (vision pénétrante) – toutes deux contribuant à réduire les perturbations mentales et à permettre une connaissance plus juste des phénomènes. Dans le Taoïsme, au 6ème siècle avant J-C, la focalisation de l’attention sur la respiration, les pratiques immobiles ou en mouvement permettent d’aborder la conscience des phénomènes.

David Hinton indique que l’idéogramme pour ch’an – transcription du mot sanskrit utilisé pour méditation – dhyana – veut dire à l’origine autel et sacrifice aux rivières-montagnes. La méditation est donc un endroit où l’on honore le paysage – le sauvage autour et l’intérieur. Son étymologie renvoie au « Cosmos seul, simplement et complètement avec lui-même ». C’est aussi pour David Hinton revenir à l’existence-tissu créateur de l’univers. Celui qui médite n’observe pas seulement mais participe à ce processus de « déploiement constant ». Cette activité mentale est la pratique fondamentale du bouddhisme zen. Ch’an est la prononciation chinoise de l’idéogramme que les Japonais lisent zen. Il est devenu dans la Chine ancienne, le cadre conceptuel des artistes-intellectuels et l’expression la plus épurée et raffinée du Taoïsme. Il ne s’agit pas pour eux ni d’une religion ni d’une institution à vocation sociale avec l’idéal de compassion du Boddhisattva comme dans le confucianisme mais d’une philosophie pratique qui cultive une vision profonde de la conscience empirique et du Cosmos.

Avec presque 3000 ans d’avance sur l’Ouest, le modèle chinois est particulièrement adapté à la situation  contemporaine, argumente Hinton :
1. Ses bases sont empiriques, les aperçus qu’il forme ne provenant pas de croyances ou d’une abstraction spéculative mais d’une attention portée à la nature des processus cosmologiques et à notre expérience quotidienne. De ce fait, il est compatible avec la pensée scientifique moderne.
2. Il est aussi gynocentré où les rôles sont dévolus plutôt aux femmes, renvoyant aux cultures paléolithiques transmises par oral.
3. Il renvoie à ce qu’on pourrait appeler la deep-ecology, où la conscience humaine est tissée avec le monde de la nature à ses niveaux les plus fondamentaux.
Tous ces éléments définissent l’éveil qui signifie, pour le Bouddhisme Ch’an, cette liberté radicale qui survient par la déconstruction des concepts lorsque nous « coupons » l’esprit dans son fonctionnement habituel. A la fin de l’âge d’or du Ch’an, No-Gate Prajna-Clear emploie cette image poétique : si vous ne le
coupez pas ce fonctionnement de votre esprit, vous vivez l’existence d’un fantôme s’accrochant aux mauvaises herbes et aux arbres. Son ouvrage « No-Gate Gateway » fait partie des plus grands et influents de la littérature Ch’an. Dans sa migration vers le Japon puis, presque 1000 ans plus tard du Japon aux Etats-Unis, la philosophie originaire du Ch’an a été oubliée, selon Hinton, absente de l’ensemble des textes modernes américains et même des traductions de la littérature Ch’an.


* mindfulness : c’est de cette manière que Rhys DAVIDS, de la British Pali text society, traduit au 19ème siècle le terme sati qui veut dire mémoire en pali, en enrichissant son sens à la lumière des écrits bouddhistes.


TROUSSELARD Marion, STEILER D., CLAVERIE D., CANINI F., L’Histoire de la Mindfulness à l’épreuve des données actuelles de la littérature : questions en suspens, L’Encéphale, 2014
HINTON David, China Root, Shambala Publications, 2020